Dans les Champs

Le troupeau de moutons au milieu des barges ou meules de cette époque

Huile sur toile, 69 x 115 cm, 1890, collection particulière

En France, depuis le XVIIe siècle, les peintures de paysage et d’animaux étaient considérées comme des arts mineurs dans la « hiérarchie des genres » imposée par l’Académie de peinture. La Grande Peinture, aux sujets tirés de l’histoire – de la mythologie – de la religion ou des batailles, primait ; le portrait venait ensuite puis la scène de genre, puis le paysage classique idéalisé et utilisé comme décor de scène historique, biblique ou moralisatrice ; au plus bas car elle ne nécessitait aucune « invention », se situait la nature morte de fleurs, fruits, poissons, coquillages, gibier ou animaux. Après la Révolution de 1789, les valeurs changent sous l’influence d’amateurs au goût tourné vers les paysagistes des écoles du Nord (RUISDAEL) dès le XVIIe siècle, et d’Angleterre (CONSTABLE, ISABEY), ou celle d’une littérature prônant le retour à la nature ; le prestige de la peinture d’histoire demeure mais le classement n’a plus cours. Grâce au développement des lignes de chemin de fer, qui permettent de découvrir d’autres lieux, et à la création industrielle tant de nouvelles couleurs moins onéreuses que du tube d’étain qui en simplifie l’usage, les paysagistes peuvent aller peindre « sur le motif » la nature et les animaux qui y vivent. Ils captent in situ les jeux de lumière et cherchent à rendre aussitôt sur la toile leurs diverses « impressions ». 

Jules-Louis RAME restera toujours un homme de terroir peu attiré par la ville, inspiré avant tout par les paysages de son village natal et les représentations pastorales. Il reprend ici le motif du troupeau de moutons déjà très prisé par la génération qui le précède (Bergère et son troupeau de moutons dans un paysage, Charles JACQUE, 1861, Musée d’Orsay), et celui des meules se détachant sur le ciel (Meules de Jean-François MILLET, 1872, Metropolitan Museum of Art de New York, série des Meules peintes par Claude MONET de 1885 à 1891, par exemple).

Un ciel aux nuages gris et légers occupe la moitié supérieure de la toile, la plaine de Caen aux tons ocres et verts sur lesquels se détache le beige des épaisses toisons de laine, s’étend sur l’autre partie. Quelques arbres minuscules esquissés sur la vaste ligne d’horizon indiquent la profondeur de l’espace dans lequel cinq imposantes meules de blé, troncs de cônes surmontés de hauts toits de chaume les protégeant des intempéries, se détachent. Elles relient la terre au ciel, qui les auréole de lumière. Semblables à des silhouettes de géants protégeant le long troupeau qui s’avance, elles donnent au spectateur l‘impression qu’elles sont le sujet principal du tableau. 

La bergère (Marguerite, épouse du peintre), le chien Pinceau, les moutons, tout est tranquille sur le chemin aux profondes ornières sèches et bourrelets herbus qui forment une forte diagonale dynamique. Mais trois animaux de tête viennent d’apercevoir le peintre-paysan… le meneur va t’il le reconnaître et continuer imperturbablement son chemin vers la bergerie, ou va t’il donner le signal d’une débandade générale ? 

Béatrice FIX, guide-conférencier

Voici quelques explications au sujet des « meules », thème récurrent dans les tableaux de Jules-Louis RAME.

Avant l’apparition de la moissonneuse batteuse, les céréales étaient récoltées en gerbes après avoir été fauchées par une moissonneuse « lieuse » ou, plus anciennement encore, par une javeleuse, avant l’invention du lieur par l’Américain MAC CORMICK.

A l’époque de RAME et beaucoup plus récemment encore, bien des fermes ne disposaient pas de granges suffisantes pour mettre à l’abri toute la récolte (blé, orge, avoine, …). On édifiait alors, en plaine, une ou plusieurs meules ou barges, souvent de forme cylindrique, en rangeant méthodiquement les gerbes, les disposant savamment de façon à assurer l’étanchéité et éviter les infiltrations à l’intérieur ! Un certain « savoir-faire » était nécessaire pour ce travail, certains agriculteurs avaient recours à un couvreur professionnel venant travailler comme sur le toit d’une chaumière mais plus sommairement. Les meules que l’on voit sur le tableau de Rame ont une forme conique, au revêtement « bien lissé » répondant à ces exigences !

A l’automne, parfois plus tardivement, la batteuse d’un entrepreneur allait de ferme en ferme pour une journée de « battage », c’est à dire pour séparer le grain de la paille !  Une journée d’effervescence à la ferme, avec la main-d’œuvre occasionnelle, la table était abondante et, à cause de la poussière, beaucoup de cidre était bu.

Ne pas confondre ces meules de forme conique avec ces sortes de structures en bois appelées « perquots » ou perroquets de dimensions plus réduites, confectionnées avec des perches en bois à l’image de tipis destinées à recevoir un « mulon » de foin afin de l’isoler du sol en laissant passer l’air à l’intérieur, pour finir le séchage.

Guy LETOREY, association O.L.E.

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