Le Prieuré de Ouézy

Le prieuré de Ouézy : une possession de l’abbaye de Jumièges en Pays d’Auge

Les abbayes

abbaye de Jumièges

Les grandes abbayes ont vu le jour au 7e siècle. Jumièges a été fondée sur la Seine en 643 par St Philibert sur sollicitation de Bathilde, épouse de Clovis II.

Les invasions normandes des 8e et 9e siècle l’ont complètement détruite comme toutes les abbayes de la vallée de la Seine. Elles ne sont plus que ruines à la création en 911 du duché de Normandie. Rollon, chef viking devient comte de Normandie. Guillaume Longue Epée, son fils, rencontrant lors d’une partie de chasse deux vieux moines venus de Flandre et vivant dans les ruines de l’abbaye, s’engage à restaurer l’abbatiale et à réorganiser la vie monastique. L’abbaye deviendra prospère matériellement et spirituellement jusqu’aux invasions anglaises et aux guerres de religion, au 14e siècle.

Les prieurés

Les abbayes accroissent leurs biens grâce à des dons. On donne pour le salut de son âme ou pour aider les pauvres mais aussi souvent contre monnaie sonnante et trébuchante. Losqu’une abbaye reçoit des biens importants loin de son siège elle établit un prieuré.

Ce fut le cas à Ouézy où une Charte de 1027 signée par le duc Richard II à Falaise relate un don important de prés, bois, eaux, pêcheries, moulins, … par trois frères, Evrard, Aubin et Théomar de Ouézy. Le prieuré fut établi au début du 11e siècle en même temps que celui de Vieux Fumé à quelques kilomètres. Outre l’exploitation des terres, les moines sont chargés de toutes les obligations monastiques (messes, enseignement, soins aux malades, accueil des pèlerins se rendant au Mont Saint Michel, …). Ces moines n’étaient pas nombreux, entre quatre et six selon les époques avec à leur tête un abbé nommé par l’abbaye.

Le site de Ouézy

L’occupation humaine du site d’Ouézy est très lointaine ; les plus anciens vestiges retrouvés remontent à 5000 ans avant notre ère à l’époque néolithique. Plus tard sont attestées, grâce à deux campagnes de fouilles en 1982 et 1996, une occupation au 2d âge du fer (450ans à 25 ans avant J.C.), un habitat et un système de défense gallo-romains (1er et 2e siècles après J.C.), une nécropole mérovingienne (5e siècle après J.C.),

des traces d’importants bâtiments des 13e et 14e siècle dont il ne reste rien ; il s’agissait vraisemblablement des bâtiments agricoles appartenant à la baronnie qui, au milieu du 13e siècle remplaça le prieuré mais qui appartenait toujours à Jumièges et ce jusqu’en 1789. Le bâtiment ruiné devant le clocher de l’église était le logis des moines qui desservaient l’église Saint-Aubin.

ruines du prieuré de Ouézy

A l’étage se trouvaient  le réfectoire et le dortoir auxquels on accédait par l’escalier situé devant l’église. Cette pièce, d’après Arcisse de Caumont comportait une magnifique cheminée qui a disparu suite à l’incendie qui détruisit au début des années 1970 la charpente et les planchers du bâtiment.

Nous avons dû retirer en 2009 les quelques restes de la charpente qui menaçaient de s’effondrer après avoir été malmenés par la tempête de 1999. Il nous a fallu pour cela l’autorisation des bâtiments de France car ce bâtiment est à l’inventaire des monuments historiques.

Les donations

Les dons affluent. Un exemple : en 1138, Rose d’Ouézy, issue d’une famille de notables de la paroisse, descendante de Richard d’Ouézy, veuve de Guillame Clarel dont un ancêtre combattit à Hastings, céda à l’abbaye le tiers d’un fief qu’elle possède à Ouézy , le tiers de ses vignobles d’Angleterre, l’abandon d’un droit de passage ainsi que trois vergées de vignes sises à Ouézy.

Autre exemple : Guillaume IV Clarel, un descendant du précédent, consent une donation «considérable» à l’abbaye se désengageant ainsi de ses obligations envers elle. En contrepartie lui et sa femme qui n’ont pas de descendance recevront jusqu’à leur mort «trois pains, trois mesures de vin, trois portions convenables d’aliments». C’est ce qu’on appelle «se déposséder». Et on ne veut pas n’importe quoi ! Certains ont demandé «du bon pain et du vin de la qualité de celui qui est donné aux meilleurs serviteurs de l’abbaye» !

En 1241 Thomas d’Allemagne, près de Caen, donne «une rente à prendre sur son vignoble d’Ouézy».

En 1260 Robert Martel, d’Oisy abandonne à l’abbaye ½ muid de vin qu’elle lui devait et reçoit en échange une rente de deux chapons.

Certains dons sont contestés par les donateurs : Roger de cesny, au milieu du 12e siècle conteste les dons qu’il avait fait aux moines  «pour le salut de son âme». Revenu à de meilleurs sentiments il prêtera serment «sur les saints évangiles» dans l’église Saint-Aubin devant l’abbé de Jumièges et ses chanoines, Guillaume d’Ouézy et toute la paroisse. Il reçut neuf livres angevines de dédommagement et ses fils soixante sous angevins. Et il fallait se tenir aux décisions sinon «que celui qui voudra anéantir cette convention soit excommunié et soumis à l’anathème comme Judas le traître, comme Dathan et Abiron»

Fin du prieuré – naissance de la baronnie – fin de la possession de Jumièges

Eudes Rigaud, archevêque de Rouen visite les abbayes et les prieurés entre 1250 et 1269. Dans son Journal des visites partorales il constate beaucoup de relâchement. Par exemple à Crouttes, non loin de Livarot il précise que végètent encore deux moines «peu préoccupés d’observance monastique». Les terres sont affermées et érigées en baronnie appartenant toujours à Jumièges. Une baronnie est une subdivision féodale des duchés et comtés. Elle doit fournir des chevaliers pour l‘ost du seigneur et doit aussi payer sa redevance à l’abbaye. Les barons sont de grands vassaux : une baronnie réunit au minimum dix fiefs, un fief comprenant  entre 200 et 600 ha. C’est ainsi qu’on peut lire qu’un certain Osmont devait 100 muids de vin (25.000 litres) par an à Jumièges.

baronnie

La baronnie se portait encore très bien à la veille de la révolution puisque Dom Dubusc dans son Histoire de jumièges nous apprend qu’au milieu du 18e siècle furent construits la maison manable, les écuries et les granges c’est à dire ce que vous avez sous les yeux à l’exception du bâtiment ruiné qui est lui beaucoup plus ancien.

maison « manable »

En 1789 l’abbaye de Jumièges cède ses biens d’Ouézy. Nous n’avons pas trace de la Charte mais celle de la cession de Vieux Fumé dit ceci «Ce jourd’hui, 7e jour de septembre 1789 le procureur a rendu compte à la communauté capulaire assemblée de sa mission du 26 août. Ensuite on a opiné pour donner à bail de 27 ans la petite ferme de Vieux Fumé au sieur Restout de la paroisse de(?) moyennant 480(?) par an et 5 louis de vin. En foi de quoi j’ai dressé le présent acte aux dits jours ci-dessus».Signé par les représentants de l’abbaye les frères Oulin,Hubert et Broncquart «quoique d’avis contre».

La vigne et le vin à Ouézy

A de nombreuses reprises nous avons parlé de vigne et de vin. La vigne apportée par les romains était partout en Normandie, au sud de l’Angleterre et même jusqu’au mur d’Hadrien au sud de l’Ecosse, dit-on. Elle se développe surtout à partir du 10e siècle avec l’essor des abbayes grandes consommatrices pour les messes, pour les moines et le personnel qui travaillait à l’abbaye. C’est aussi la boisson des seigneurs et le vin est réputé «bon pour la santé».

L’apogée du vin normand est le 13e siècle. Localement le plus connu est le vin d’Argences (800 ha à son apogée) ; il partait en Angleterre pour alimenter les très nombreuses possessions de Jumièges au sud de ce pays.  On a vu aussi à travers l’histoire du prieuré que les fidèles de Guillaume le Conquérant ont été récompensés par des terres anglaises et que des donations de vignobles «anglais» figuraient dans les donations à l’abbaye de Jumièges. La fin définitive de la culture de la vigne intervient à la fin du 17e siècle qui connaît un changement climatique très important que les climatologues appellent le «petit âge glaciaire».

Notre travail n’est pas terminé. Nous poursuivons nos recherches et enrichirons le texte dès que de nouveaux éléments viendront à notre connaissance. Néanmoins par ce travail modeste nous pensons avoir attiré la curiosité sur Ouézy et son prieuré de tous ceux, et ils sont nombreux, qui s’intéressent au patrimoine normand.

Grâce au travail de l’association Ouézy-Laizon Environnement (O.L.E.) le prieuré de Ouézy fait partie de l’association des Abbayes de Normandie-route touristique

Catherine LECOINTE, chargée du Patrimoine pour l’association O.L.E.

Remerciements :

Nous n’aurions pas pu écrire cette histoire sans prendre connaissance des travaux réalisés à l’occasion du XIIIe centenaire de l’Abbaye de Jumièges.

Merci aussi à celles et  ceux qui nous ont reçus et aidés aux archives départementales et diocésaines, à la DRAC, dans les bibliothèques, à Jumièges

Merci à Isabelle Roby, ex conservatrice de l’abbaye de Jumièges pour l’intérêt qu’elle a porté à notre travail.

Un grand merci à Pierre Bouet, maître de conférences honoraire, directeur de l’office universitaire d’études normandes à l’université de Caen,  pour sa relecture attentive et ses précieux apports.